Les chemins muletiers entre Languedoc et Cévennes
Voyage dans le temps : une histoire vieille de 3000 ans
Depuis l'age de fer jusqu'au début du 19è siècle, l'utilisation des bêtes de somme fût pratique courante dans le sud de la France.
La généralisation du transport par roulage et l'apparition du rail mît fin à cette extraordinaire épopée. Seules quelques traces subsistent dans des sols tendres ou certains chemins creux.
Un montagnard inégalable
De tous temps le mulet eut la maîtrise du transport en zone de montagne.
Ses qualités d'endurance, frugalité, solidité des membres , son coup de rein
le rend indispensable pour accomplir de longues étapes sur des parcours difficiles et accidentés.
Les chemins muletiers montent régulièrement face à la pente. Les chemins en zig-zag ne sont pas toujours nécessaires. Ils sont souvent appelés "carriera recta" à cause de leur rectitude.
Parfois des marches taillées dans le rocher appelées "escalettes" permettaient aux mules de franchir des pans rocheux abrupts.
Le titre de muletier
Les "Bouires" muletiers du Languedoc étaient revêtus d'une blouse bleue ornée au cou de broderies rouges et blanches.
Pour prétendre au titre de muletier, il fallait posséder au moins une couble (6 mules).
Les plus belles coubles comptaient jusqu'à 25 bêtes reliées entre elles par un lien attaché entre le bât d'un animal et le licol d'un l'autre.
Les étapes étaient de 20 à 40 km par jour sans pause à la mi journée.
Les animaux s'alimentaient en route grâce à une musette/ mangeoire à larges mailles (le mourail)
Les mulets étaient harnachés soigneusement. Les harnais brillaient de mille feux grâce à leurs parures de cuivre qu'ils portaient sur la têtière, mais également par l'ensemble des décorations cloutées qui garnissaient les cuirs. Des grelots au tintement entraînant ornaient leurs encolures.
Le mulet de tête
Le "Viegi" celui qui ouvre la voie conduisait la couble. On le reconnaissait de loin avec son plumet rouge qu'il portait sur la tête. L'usage voulait qu'on incorpore au milieu de la file les plus jeunes bêtes. Ces "stagiaires" transportaient non pas les charges les plus lourdes, mais le matériel d'intendance (matériel de cuisine, maréchalerie, etc...).
Enfin pour terminer la marche venait le mulet de barde sur lequel montait le muletier.
Le mulet de tête portait une immense sonnaille "La cayrado" dont le battant en os était libéré à l'approche des auberges où les muletiers faisaient halte le soir. Ainsi l'aubergiste était prévenu de l'arrivée de la "couble". Le valet d'écurie préparait l'écurie et la cuisinière allumait les fourneaux.
La joie de vivre
La joie de vivre des muletiers transparaît dans les devises humoristiques que chacun faisait graver sur les illères des mules.
Leur originalité était souvent supérieure aux autocollants affichés dans la cabine des camions d'aujourd'hui.
Le thème "Contentement passe richesse" était le plus fréquent. L'amour était souvent évoqué :
"Vive l'amour sans tristesse" ou encore "vive les jours de noces et ceux de débauche"
Le vin était lui aussi largement célébré. Les Bouires avaient la tournée facile "Vive Machin, qui souvent paye la bouteille". La vie de muletier n'était pas toujours de tout repos, aussi il fallait bien se divertir à l'étape.
Le chemin du sel "camina Salinae"
L'utilisation du sel comme moyen de conservation des aliments est antérieure à l'époque romaine. D'après certains historiens,cette méthode remonterait à l'age de bronze.
Il semble que l'utilisation du mulet se soit développée mille ans avant notre aire afin de transporter le "fruit de la mer" jusqu'aux lointaines terres Arvernes.
Le sel était également utilisé pour les troupeaux ovins en zone d'estive.
Les chemins muletiers étaient généralement intitulés "chemins de la saou", mais
l'appellation des chemins empruntait régulièrement le nom des produits transportés "à l'aller"
C'était le chemin du sel, mais aussi le chemin du poisson ou encore le chemin du vin.
Le voyage retour était principalement composé de produits de la forêt, fromages et céréales.
L'itinéraire le plus courant reliait les environs de Montpellier (Hérault) aux pâturages de la Margeride (Haute-Loire).Il traversait le piedmont languedocien pour rejoindre le Larzac et redescendre dans la vallée du Tarn .
Le chemin du sel se poursuit au nord de Millau par un tracé commun au chemin du vin et rejoint la vallée du Lot en traversant le causse de Séverac. Le tracé remonte vers Marvejols et s'oriente vers le nord-est pour gagner les plateaux de la Margeride.
Les tracés muletiers utilisent des itinéraires régulièrement interrompus.
Ils ne suivaient pas uniquement des chemins spécifiques aux animaux de portages, mais souvent des drailles de transhumance ou encore des voies charretières. C'est pour cette raison qu'il est difficile aujourd'hui de connaître le tracé exact qu'empruntaient les muletiers.
De l'équilibre des charges
De longues caravanes de mules équipées de banastes (paniers) portaient des denrées solides mais également liquides. La chargement moyen des bêtes était d'environ 130 kg.
Pour faire une comparaison avec la capacité de portage d'un poids lourd actuel, il aurait fallu aligner environ 200 mules.
Il arrivait parfois qu'une outre se déchire en frottant contre les aspérités d'un rocher. Afin que le chargement ne fût pas déséquilibré, il fallait garnir l'outre vide de pierres ou galets ramassés sur le chemin. C'est ainsi que l'on retrouve des amas insolites de cailloux ronds dans certains lieux d'échange où se retrouvaient les muletiers (Bouires) .
Les quais de chargement
Dans certains hameaux traversés par des itinéraires muletiers, des murettes de 1 mètre de hauteur étaient édifiées de part et d'autre de la ruelle afin de laisser simplement le passage de l'animal. Le chargement se retrouvait ainsi presque au niveau du quai.
L'opération de débâtage s'en trouvait facilitée.
Lorsque la caravane repartait la manipulation inverse était effectuée.
Les péages
Le commerce florissant du moyen-âge (12ème sciècle) engendre des droits de péages bien codifiés en fonction des marchandises transportées.
Ainsi le transport de : la laine et cuir .. payait plein tarif
Poisson, huile et cuivre payait 1/2 tarif
Sel, miel, bois et fer payait 1/3 tarif
En ce temps-là, le manque d'entretien des chemins charretiers de l'époque gallo-romaine entraîne la disparition du roulage et le développement du portage par les bêtes de somme appelées "Saoumes" .
Certaines agglomérations du piedmont (Lodève au pied du Larzac) ont vu naître des dynasties de muletiers qui ont représenté pendant plusieurs siècles une des classes sociales les plus fortunées.
La neige
La neige bloquait les convois et le traffic dans les zones de montagne en période hivernale.
Sur les chemins escarpés, les accidents étaient fréquents lorsque la neige s'abattait brusquement sur la caravane.
Pour éviter ces risques, les bouires de la plaine évitaient les itinéraires cévenols pendant l'hiver. Ils se contentaient d'utiliser leurs bêtes de somme pour des transports moins rémunérateurs mais beaucoup plus sûrs.
Epilogue
De cette longue aventure, il ne subsiste plus que de rares sentiers dérisoires et anachroniques bien trop abrupts pour être transformés en route.
Même si quelque nouvelle guerre sainte !! venait à faire exploser tous les puits de pétrole, il serait vain d'essayer de retracer les anciens chemins muletiers "camis de la saou" et de leur redonner vie car, qui connaîtrait encore l'art de dresser et de conduire mules et mulets ??
Bibliographie : Les chemins à travers les âges en Cévennes et bas-Languedoc
Pierre A. Clément . éditeur max Chaleil presses du Langudoc
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