Le Travail de la terre avec un âne

Par Lionel, des Chambas de Molines (Ardèche)

De mémoire d'ardéchois, les ânes ont toujours accompagné les hommes dans les travaux agricoles.

Là où le cheval était trop cher, réservé aux agriculteurs plutôt fortunés, la mule trouvait sa place au coin de l'étable, coinçée entre les 2 vaches et les quelques moutons.... Et puis, quand les pentes devenaient trop prononcées, quand la place était trop juste, l'exploitation trop petite, c'était Cadichon qui devait assurer.

Ces temps-là ne sont pas loin, les derniers ânes paysans ont quitté leur fonction voici quelques 30 ans, en tous cas, dans les Boutiéres ardéchoises. Mais, en tournant nos regards sur le continent africain, il nous est difficile d'oublier combien il a sa place certaines fois.

Tout commence par la traditionnelle question: " Mais de quel gabarit doit-on le prendre ? "

Pensez-vous qu'un homme de petite taille n'est pas capable de manipuler la pelle ou la pioche !

Pour ma part, je ne crois pas, il vaut autant au travail qu'un molosse, les manches en un peu plus court, et la technique différente.

" Et faut-il un mâle ou une femelle ? "

Les deux vont bien, mon capitaine, tout est question de volonté, mais à choisir, je prendrais un hongre.

Un entier n'est pas assez fiable dans sa tête du moins, et si des fois une femelle croise à l'horizon, la belle séance de travail aurait vite fait de se transformer en périlleuse séance de ski nautique, Bourricot dans le rôle du bateau, et notre ami paysan dans ceux conjugués des skis et du skieur.

Quand aux femelles, résumons en disant que tout est une question de cycle...

" À quel âge ? "

Reprenez les bouquins traitant du sujet asin, et rendez-vous sur la page correspondante....

En fait, la traction n'est pas un effort traumatisant pour l'organisme d'un jeune. On peut, sans problème habituer un âne à tracter dès son plus jeune âge ( enfin faut pas pousser non plus ! ).


Utilisons du bon matériel, et évitons de lui demander de débusquer le chêne centenaire que la dernière tempête a abattu. Un poids mort d'une dizaine de kilos fera l'affaire, et n'oubliez pas, vous êtes là pour lui expliquer le boulot, genre un apprentissage, alors bien plus que l'effort à fournir, ce sera la sûreté du pas, la recherche d'équilibre, le placement dans le harnais, et la confiance dans son environnement qui seront à privilégier. Au fait, l'environnement, c'est vous, vos gestes et paroles, l'objet attelé, les bruits qui surprennent.... C'est de l'éducation aux forts accents d'un terrain de jeu.

Et 18 mois, c'est pas mal pour commencer, en considérant que le jeunot soit manipulé sans problèmes, qu'il donne les sabots sans l'intervention du grutier du coin, ce qui pourrait vous poser quelques problèmes quand il aura délicatement enroulé ses traits autour d'un de ses boulets.

Et certains de se demander s'il y a un âge maximum. Bien souvent, quand vient la retraite, c'est là que l'on découvre les joies du jardinage... À son rythme, tranquille... A 20 ans un âne peut très bien participer aux joies du potager, mais il faudra penser à avertir la cantine de l'usine, et préserver la pause syndicale.

" Et au niveau matériel, que faut-il ? "

Et bien tout dépend de ce que l'on veut faire.

Dans un cadre strictement agricole, allant du travail de la terre, au nettoyage de parcelles boisées, la base du harnachement est le collier. Constitué d'attelles en bois ou fer, la matelassure qu'elle soit de paille, ou de mousse, doublée de cuir ou de toile devra être en parfait état. Il en va du confort de l'animal, et si confort il y a, vous limitez les risques de blessures et du coup une excuse de moins pour que Robert, votre tractosino, cale tout les deux mètres. Evitez donc la superbe affaire de Jean Grangetou, brocanteur de son état, qui vous propose un magnifique collier miroir, luisant et rutilant, pour une somme si modique qu'un collier neuf vous paraîtra être en solde quand vous l'aurez essayé...

Je ne sais pas, mais il ne me viendrait pas à l'idée d'aller remuer la terre en souliers vernis alors qu'il existe du matériel de qualité chez tout les bons fournisseurs (voir en page matériel).

 


La taille du collier dépend de l'encolure, le jeu de collier en plus. Adressez-vous là encore à un professionnel qui saura vous expliquer où et comment prendre les mesures.

Après le collier, qui se charge de répartir l'effort de traction, viennent ensuite les traits. En corde de chanvre (cela brûle moins que le nylon), en cuir (est-ce vraiment utile en agricole ! ), en chaîne (à protéger du corps de Robert, sinon il va encore caler), ou simplement en sangles (tubulaire, Robert préfère, ça marque moins), ils transmettront l'effet de traction au palonnier (ou à l'arceau de traction).

La longueur des traits varie suivant la taille de l'animal, mais une base de 1,5 mètre, complétée par un morceau de chaîne destiné aux derniers réglages constitue une moyenne pour un attelage au palonnier.

Pour un arceau de traction, des demi-traits suffiront.

Nous arrivons maintenant au palonnier. Pièce de bois ou de fer, d'une longueur d'environ 60 cm, il est équipé de trois crochets. Les deux premiers, placés sur l'avant et à chaque extrémité, reçoivent les traits.

Le 3ème, situé à l'arrière au milieu, sert à relier l'outil ou l'objet à tirer.

En place du palonnier, on utilise aussi l'arceau de traction, ou renard, ou bricole. C'est un palonnier de fer, cintré, et porté par l'animal. Plus de traits entortillés, et des demi-tours possibles sur place, tout en continuant la traction. Depuis le tire-bouchons, on n'avait rien inventé de mieux.

Et voilà une bonne base de matériel. Bien évidement, les jeunes seront habitués à la traction avec une sangle nommée bricole qui passe au poitrail de l'animal. Cela vous évitera d'avoir à dévaliser Jean Grangetou de tout son stock de colliers.

Et voilà, Robert tout équipé, mais maintenant, qu'est ce qu'on fait ?

 

J'aurais presque le réflexe de vous dire que l'on peut tout faire, en tous cas quand le couple animal-meneur fonctionne. La principale difficulté au départ est de faire comprendre à copain Bob que pour une fois, il va mouiller sa chemise. Alors, tel un grand diplomate que vous auriez pu être si la vie vous l'avez proposé, il va falloir faire preuve d'une douce persuasion. La spécialité de Robert, c'est d'essayer de nous faire croire que l'effort à fournir n'est pas à sa portée.... Quel farceur me direz-vous ! Eh bien non, il s'agit en fait de la formidable humilité qui caractérise nos oreillards de compagnons. Alors, foncez chez Jean Grangetou, et prenez lui le gant en fer de l'armure qui trône à l'entrée, et le gant de velours situé dans la belle malle aux trésors que sa grand-mère lui a laissée en héritage. Enfilez tout ça dans l'ordre d'apparition, et retournez sur le terrain.

Quand enfin Robert a compris, ou plutôt quand vous comprenez qu'il a compris, car lui, tirer, il a toujours su faire, vous vous rendrez compte que bien souvent, la puissance de l'âne est limitée en premier par sa motricité. Comment voulez-vous avoir de l'adhérence sur ces quatre petits sabots. C'est un peu comme un gros diesel à 4 roues motrices, tractant son poids dans des dunes et équipé de pneus de mobylette. La farce saute aux yeux, mais pourtant avec l'expérience, Robert reculera les limites de la perte d'adhérence, en modifiant son équilibre, et si en plus vous avez su lui fournir du bon matériel, et effectuer les bons réglages, vous devriez rapidement voir le changement.

En fonction des sols, un âne parvient sans problème à effectuer des labours, sur une profondeur de 10 à 15 cm. Le soc de la charrue ne devra pas dépasser les 8 pouces, et en cas d'ouverture d'un terrain enherbé, les pauses seront fréquentes. Mais la maniabilité, la qualité du travail, et le plaisir seront bien au rendez-vous. Ne rêvez pas, vous n'aurez jamais la puissance d'un autre équin, ou d'une paire de boeufs, mais votre motoculteur pourra rejoindre la boutique de Jean Grangetou.

En sol granitique, à forte teneur en sable, c'est un âne attelé seul qui s'occupe de nos labours. C'est encore lui qui herse, bute, et arrache. Et en laissant de côté les notions de plaisir, et sur mes terrains en terrasses, c'est un maximum de surface qui est ainsi travaillé, soit 10 % de plus qu'au motoculteur.

Si en plus, après quelques bonnes heures de confidences au coin du potager, Robert vous obéit du bout des doigts ou mieux, à la voix, vous comprendrez comment on peut être producteurs de petits fruits et plantes aromatiques, mener son exploitation en traction animale, et jurer par Toutatis que rien ne vaut un âne sur les Chambas d'Ardèche.


Il en va de même pour le bois. Et voici notre Bob, fort à la besogne, traînant sans complexe le bois de chauffage de son cruel patron. Là encore, on oublie le chêne centenaire, et on vise plutôt des grumes en proportion avec notre timberbob. La taille de ces dernières dépend d'une multitude de facteurs: la pente (montée ou descente, dévers), la nature du sol (pierres, boue, herbe...), le type de bois (résineux, feuillus) et l'état de la pièce à tirer (présence de branches...). Alors, à quoi bon parler de poids, de cubage ou autres. C'est à vous d'apprécier au mieux les possibilités de votre Robert.

N'oubliez pas que comme pour lui, votre expérience et votre technicité feront 50 % du travail.

Alors partez sur le terrain, demandez conseil, faites des stages ou une formation, mais plus que jamais, ne mettez pas la charrue avant Robert, ça fait désordre.

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Visitez aussi un passionné d'attelage agricole avec ânes : Mandozaïna

et bien sûr l'auteur de cet article : Lionel, des Chambas de Molines
P.S.: l'auteur remercie par avance les Robert et les familles Grangetou pour leur participation bénévole à l'écriture de cette approche de la traction asine...
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