Histoire d'un pèlerinage chrétien avec mon âne Boubou
Cela faisait plus de trente ans que j'avais entendu des amis me parler de ce fabuleux parcours, mais hélas mon travail ne m'avait jamais permis de le faire. Et puis en cette fin d'année 1991, une maladie étrange et grave m'a fait cesser toute activité. Je parlais avec difficulté, je marchais très lentement, et peu après les médecins m'ont interdit de conduire. En 1992 j'achetais mon Boubou, il avait un an à peine et la séparation avec sa mère fut une douloureuse expérience. Pendant quelques mois nous avons appris à nous connaître en découvrant l'un à côté de l'autre les chemins bordant les canaux du Marais Poitevin.
En avril 1994, j'ai acquis une charrette qui servait à promener les enfants dans les parcs. Ce fut le déclic : j'ai décidé alors malgré mon état d'aller à la rencontre de Monsieur Saint Jacques. Bien que nouveau dans mon village qui se nomme du joli nom de "L'Ile d'Elle", j'ai reçu une aide formidable pour pouvoir réaliser mon projet.
Des gens inconnus m'ont donné leur accord pour faire les travaux d'aménagement nécessaires sur la charrette. L'un me fit cadeau de bambou pour la structure, l'autre trouva le système pour la fixer et la rendre mobile, l'un fit un coffre, l'autre me donna la toile, l'un prêta son atelier, l'autre ses machines pour coudre, l'un fit une coquille en bois, l'autre peignit l'emblème de la Vendée...
Je me suis inscrit à l'association des Amis de Saint Jacques, j'ai lu quelques récits, j'ai demandé à mon évêque une lettre de créance, et je crois bien que ce fut tout. Pas de préparation morale, pas de préparation physique. Je demanderai simplement à la Sainte Vierge, à son Fils et à Saint Jacques de m'accompagner.
Le dimanche 2 avril 1995, j'assiste à la messe paroissiale de 11 heures 15, Boubou m'attend, attaché à la grille de la sacristie. J'avais juste invité mes frères et surs et leurs enfants. Quelle ne fut pas ma surprise de voir l'église presque pleine, 200 à 300 personnes venues assister à la bénédiction du chrétien, de l'animal et de la charrette.
Ce jour-là, j'ai reçu des gâteaux, un thermos de café, des bonbons, du tabac, etc... Des gens m'embrassaient, me touchaient. je ne me rendais pas bien compte de ce qui m'arrivait. Mais pour toutes ces personnes, c'était sûr, jamais je n'y arriverais, et pour certains je mourrais en route. Les pleurs des miens m'avaient beaucoup ému, mais je ne comprenais pas leurs angoisses. Il faisait beau, la route était plane, alors...
Mais la route de Santiago va se révéler pour nous comme une succession d'anecdotes...
Dès le premier après-midi, assis dans ma charrette, rêvassant au soleil, Boubou et moi longions un des nombreux canaux quand soudain un magnifique cygne s'est attaqué à mon fidèle compagnon : ce fut une débandade au triple galop qui se termina heureusement sans dommage après avoir traversé deux routes départementales...
Le lendemain, j'ai vécu ma première vraie journée de pèlerin, priant, chantant (un peu faux), parlant aux gens peu habitués à rencontrer pareil équipage... Vers 16 heures, j'ai demandé à une maman qui venait de prendre son fils à l'école si je pouvais trouver de l'herbe et de l'eau pour que nous puissions passer la nuit. Elle fit mieux que cela : Boubou trouva un grand champ et moi je fus accueilli comme un frère, heureux d'être reconnu comme un pèlerin.
Si je vous raconte cette anecdote, c'et qu'elle se produisit sept fois sur dix pendant mon voyage. Quelquefois je dormais dans ma charrette, mais le lendemain je prenais le petit déjeuner et la douche chez mes hôtes. Et très souvent je repartais avec des victuailles et du vin que l'on m'offrait spontanément..
Merci à ce monsieur retraité de la Presse qui le matin m'a dit : &laqno;Vous êtes vraiment un pèlerin, alors pour moi qui suis communiste depuis toujours, priez saint Jacques». Ou encore ces gens de la région bordelaise, qui m'ayant convié à leur petit déjeuner, se sont excusés de ne pouvoir rester avec moi, et m'ont confié la maison entière en m'indiquant la cachette pour la clé...
Ou encore cette maman qui m'invite dans sa maison, alors que le mari ne partage pas du tout les convictions religieuses de sa femme, et pourtant quel accueil... Je dois réciter le Benedicite et prier le lendemain avec tous, juste avant mon départ...
Ou encore cette coiffeuse qui m'apporte un grand pot de rillettes de canard, pour excuser son curé de ne pas m'avoir reçu.. Ou encore cet abbé très âgé à qui j'ai fait peur, un soir d'orage, et qui m'a reçu formidablement le lendemain matin. Ou encore ce curé, jeune, qui m'a ouvert sa salle de bains pour que je puisse repartir tout propre. Je me rappelle avoir assisté à sa messe, son fidèle Labrador couché au pied de l'autel...
Presque tous les jours furent ainsi... Bien sûr certains me disaient :&laqno;Ah le terrain de romanichels, c'est à la sortie du village». Ou cette autre fois où on m'a installé près de la porcherie, en prétextant qu'il n'y avait pas de place alors que le bâtiment était vide. C'était le Centre Jean XXIII... Ou encore l'hospitalité donnée dans un couvent et qu'on m'a facturée 80 francs.
Mais ces petites erreurs d'incompréhension, -Pourquoi être pèlerin en cette fin de XXème siècle-, n'entamèrent en rien notre Foi dans l'Autre.
L'autre surprise pendant ce pèlerinage fut la rencontre avec des gens de mon village venus à notre rencontre, comme Paule et Jacques à Blaye, comme Pierre et Bernadette dans les Landes, comme Nanie et Jackie à Saint-Jean-Pied-de-Port. Ce furent des moments de bonheur partagés avec des gens que je ne connaissais pas.
Nous sommes arrivés à Saint-Jean-Pied-de-Port le 27 avril pour en repartir le 1er mai. Ce fut une grande, longue et très chaude journée de 7 heures à 18 heures. Mon Boubou était trempé de sueur de la pointe des oreilles aux sabots. Il mit plus de deux heures à récupérer, immobile, recouvert de deux plaids. Nous étions heureux et en plein inconnu. Depuis Mont-de-Marsan, je marchais à côté de Boubou et ce sera ainsi jusqu'au retour. Le dimanche toutefois, nous ne marchions pas afin de nous ménager.
Les anecdotes sur la partie espagnole furent aussi nombreuses, comme la traversée de Pampelune accompagnées par des demoiselles de petite vertu, ou encore la dévastation d'un parterre de roses à Sarria. Un grand merci à la Guardia Civil qui s'est préoccupée de nous presque chaque jour, sûrement intriguée par ce curieux attelage. Merci aux nombreux pèlerins rencontrés qui nous ont aidés à franchir des zones délicates. Grâce aux victuailles données par mes hôtes, j'ai pu partager avec eux de nombreux repas.
Bien sûr nous ne pouvions passer dans tous les petits chemins, mais les routes de campagne sont jolies, les hameaux et villages traversés agréables. Les gens nous arrêtaient souvent et offraient à boire aux deux marcheurs, eau et vin.
Nous sommes arrivés le 7 juin à Santiago, et j'ai pleuré en foulant les pavés de grès. Je suis certain que mon Boubou a compris que nous avions fait quelque chose de grand.
Après quatre jours à Saint-Jacques, nous avons pris le chemin du retour par Lugo et ensuite la côte nord. Ce fut un merveilleux voyage. La route du nord est beaucoup plus difficile que le Camino Francès. Mais l'accueil des gens a été bon, bien que les gens soient très étonnés de nous voir revenir par ce chemin.
Notre voyage fut interrompu le 19 juillet à Saint-Vincent-de-Tyrosse à cause d'une sérieuse défaillance du pèlerin...
Un pèlerinage, c'est un exil volontaire, une entrée en monastère avec pour chapelle et pour cloître toutes les merveilles de la création... Pour le réussir, il faut faire confiance à saint Jacques, ne pas se déguiser en pèlerin, avoir beaucoup d'humilité, et savoir partager.
Quelques données techniques :
Départ : 2 avril 1995
Arrivée à Saint-Jean-Pied-de-Port : 27 avril 1995
Départ pour Roncevaux : 1er mai 1995
Arrivée à Saint-Jacques : 7 juin 1995
Départ de Saint-Jacques : 11 juin 1995
Arrivée à Irun : 14 juillet 1995
Arrêt à Saint-Vincent-de-Tyrosse : 19 juillet 1995
Ce qui représente environ 2.970 kilomètres.
Jean Grenapin, père de trois enfants, architecte à la retraite
Digue de Vix
85770 Ile d'Elle
Tél 02-51-52-08-05
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