Rosalie

 Etienne Tonneau

 

Ce matin j'ai annoncé à Rosalie qu'elle allait faire un nouveau voyage après 3 ans de repos complet depuis son retour de Saint Jacques de Compostelle. J'avais pensé la surprendre en lui expliquant qu'elle ferait le tour du monde sur les autoroutes d'Internet mais elle n'a pas réagi. Elle m'a regardé avec son air énigmatique dont elle ne s'est jamais départie depuis que nous nous sommes connus en 1993.

C'est, en effet le 19 novembre 1993 que mes enfants et amis m'ont offert Rosalie en cadeau d'anniversaire pour mes 60 printemps.
Ce fut pour moi une surprise de taille qui avait été préparée dans un secret absolu.
Depuis des années, je formais le vague projet de faire le Chemin de Saint Jacques et j'avais évoqué l'idée de partir avec un âne pour porter mes bagages.
Maintenant que Rosalie était entrée dans ma vie, je ne pouvais plus reculer.

Les préparatifs se sont précipités. J'ai acheté l'équipement, je me suis inscrit à l'association Adodâne (association belge des amis des ânes), j'ai préparé l'itinéraire, je me suis documenté sur l'histoire de Saint Jacques et sur l'art du parfait ânier.
Le 1er avril 1995, je quittais Tournai pour un voyage de 2200 km.
J'avais lu que "l'âne ne se dresse pas, il s'éduque".
Dans mon cas, c'était faux : c'est Rosalie qui m'a éduqué et même dressé !

J'ai dû m'adapter à son pas de sénateur (3,5 km/h), à ne pas franchir de ponts étroits (quitte à passer des rivières à gué), à accepter ses arrêts quand l'herbe était vraiment tendre, à tenter d'éviter ses cabrioles dans la poussière fine afin de préserver mes bagages...

Il ne faut cependant pas en conclure que la compagnie de Rosalie ne me causa que des soucis.
Tous comptes faits, le bilan se révéla largement positif.
J'ai traversé la France par le chemin des écoliers en suivant la direction générale de Beauvais, Mantes-la-Jolie, Chartres, Tours, Poitiers, Bordeaux, Bayonne, à travers la campagne en évitant toutes les grandes villes.

Et c'est ainsi que Rosalie, que j'avais imaginée comme bête de somme, s'est révélée être une ambassadrice exceptionnelle.
C'est elle qui m'a ouvert toutes les portes, qui m'a trouvé le gîte et le couvert et a largement contribué à établir des contacts très enrichissants avec une foule de personnes, de cultures, et de conditions très diverses.
J'ai été très impressionné et je garde des souvenirs inoubliables, des gestes d'amitié et de générosité que je croyais définitivement étouffés par un monde que l'on qualifie de matérialiste.

A partir de Saint Jean Pied de Port, j'ai suivi "el camino francès" pour parcourir les derniers 800 km jusqu'à Saint Jacques de Compostelle en passant par Roncevaux, Pampelune, Burgos, Leon...
Les circonstances du parcours espagnol sont très différentes : plus besoin de cartes ni de boussoles, le chemin est fléché, l'hébergement est prévu.
Pratiquement, finis les contacts avec la population locale mais en revanche, beaucoup de liens se créent avec des pélerins de tous les pays d'Europe et d'autres continents.

Ici encore Rosalie amorce les contacts et multiplie leur nombre du fait de son allure beaucoup plus lente que celle des autres marcheurs.
Nous avons mis exactement 4 mois de marche pour atteindre Saint Jacques de Compostelle et nous sommes revenus à Tournai en 4 jours de voiture et de van.

Je termine ce récit en jetant une bouteille à la mer sur les océans d'Internet avec le faible espoir que peut être mon message sera découvert par l'une ou l'autre personne qui a croisé ma route avec Rosalie.
Je serais ravi de recevoir un petit mot sur le site www.bourricot.com ou à mon adresse :

Etienne Tonneau
54, rue du Vert Lion
B-7540 Kain

Tonneau en marche

Retour à la liste des voyageurs