le livre de Maryvonne Robineau :

" Sur les sentiers des Carpates "

Une magnifique randonnée dans les montagnes de Roumanie avec deux ânes et deux enfants
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Sur les sentiers des Carpates
Cheminement d'une famille au pas des ânes au cur de la Roumanie

230 pages

70 photos couleur

23 euros, port compris

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Pour faire connaissance avec la famille Robineau

Maryvonne et Bruno Robineau ont parcouru le monde pendant huit ans, sac au dos, échangeant leur travail contre gîte et couvert, s'associant au labeur des paysans, partageant leur intimité. L'aventure voyageuse continue en famille maintenant, avec leurs deux jeunes enfants, Vincent et Sarah. Cheminant de traverse dans le rythme effréné de la vie, ils ont choisi d'aborder un petit coin de Roumanie à vitesse d'homme, au rythme de la marche, accompagnés de deux ânes, porteurs des bagages et des enfants.

Le Maramure ?, c'est un petit bout de Roumanie où l'hospitalité est un miracle quotidiennement renouvelé. Un pays à horizon d'homme, souvent oublié des puissants de ce monde mais jamais des dieux, un espace absolument unique en Europe par la force de ses traditions et qui nous invite à entrer dans un autre univers. Bruno et Maryvonne nous content cette âme maramuresane qui les a tant éblouis.

Pour aborder les villages nichés dans les replis des collines, ils se sont mis au pas de Vera et Doina, leurs deux petits ânes, pour goûter le temps qui passe et faire provision de trouvailles au fil du chemin. Pour vivre une aventure en famille, avec l'effort et le plaisir partagés, les émotions magnifiées


l'accueil en Roumanie, un miracle quotidien

Le grand amour d'une petite fille

pompons rouges pour les chevaux

des ânes et des enfants : un passeport extraordinaire

La famille Robineau

mariage villageois

Randonnée dans un pays de collines

Jour de procession

Vue aérienne d'un âne au travail

Scène de la vie villageoise
 
 

Quelques extraits du livre

Nous faisons connaissance avec Vera et Doina
Un fier équipage
Où il faut se méfier du mot " imediat "
Au coeur du village
Un pays de collines
L'hospitalité est ici un miracle quotidiennement renouvelé
Les ânes chassés du temple
Magie d'un feu de camp
En guise de conclusion

Nous faisons connaissance avec Vera et Doina

C'est aujourd'hui le grand jour : nos petits bourricots arrivent ! C'est après avoir pris la décision de randonner avec des ânes en Maramure ? que nous avions découvert qu'il n'y avait pas d'âne dans cette région ! Nos contacts nous avaient amenés jusqu'à Jean-Michel Corbet, un Français ayant monté une agence de voyages à Târgu Mure? et grand amoureux du Maramure?. Il avait été séduit par notre projet et avait réussi à louer pour nous, deux ânes appartenant à un berger qui acceptait de s'en séparer pour quelques mois. Jean-Michel vient nous les amener cet après-midi au village de Calinesti
Nous allons de suite faire connaissance avec nos montures que Jean-Michel a placées en sécurité chez la famille Tama ?. Ce sont deux petites ânesses brunes. Vera paraît très calme mais Doina qu'on reconnaît à sa tête plus effilée, semble beaucoup plus nerveuse et rétive. Voyageant dans une remorque trop petite, elles ont effectué tout le trajet, coincées contre le rebord arrière, et elles ont l'arrière-train à vif, le poil arraché, la peau suintante et la jointure des pattes arrière également abîmée. La blessure doit être douloureuse et la cicatrisation risque d'être longue. Quant aux bâts, c'est une catastrophe. L'un est correct mais n'a aucune sangle ; l'autre, fait de pièces de bois et de ferraille assemblées à la va-vite, est inutilisable. Des ânes blessés, pas de bât, ni cordes, ni licols : l'aventure démarre sous les meilleurs auspices ! Le lendemain matin, le vétérinaire déclare au vu des dégâts, qu'il viendra les soigner tous les jours et qu'il faudra sans doute attendre une bonne semaine avant de pouvoir les bâter. Faudrait-il encore avoir des bâts !
Le bourrelier du village voisin pourrait peut-être nous tirer d'affaire. Vasile, c'est son nom, regarde avec suspicion le matériel que nous avons reçu hier. Des bâts pour ânes ? Inconnu dans la région. Oui, il pourrait sans doute en faire un. Oh, et puis non, il ne sait pas trop, il hésite. Mais il connaît quelqu'un qui en a peut-être ; c'est au village suivant, à Budesti.
Là, la femme contactée se montre méfiante. Bâter des ânes ? Quelle idée ! Après une longue discussion, elle se décide à sortir un bât de cheval. Trop grand pour un âne. Puis un autre. Encore trop grand. Elle fait des allers-retours vers la maison pour nous sortir ses trésors au compte-gouttes. En voilà un troisième. Mais c'est une merveille, un beau petit bât de bois, avec un dossier. Peut-être un peu grand pour nos ânes, et à regarder de plus près, il est cassé. Mais on peut sans doute arranger cela. Peut-on aller l'essayer sur le dos de nos petites bêtes et puis on lui dira ce qu'on en pense ? Ah non, il n'en est pas question ! De l'argent, d'abord. Combien ? Elle nous réclame en Lei l'équivalent de 120 ¤. Cent vingt euros pour ces bouts de bois cassés ! Elle a perdu la tête ou elle a entrevu soudain la possibilité de faire fortune en plumant facilement ces étrangers.
La discussion s'engage via Ileana pour baisser à 60 euros, puis 40, puis 30. Alors qu'elle est retournée un instant vers la maison, Vasile murmure que cette camelote ne vaut pas plus de six euros. La discussion a bien sûr attiré quelques voisins qui s'interposent, questionnent. Et chacun d'énoncer son opinion sur le bât et son prix.



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Un fier équipage

Non sans mal, nous avons réuni l'équipement nécessaire et Vera et Doina sont à peu près guéries : la randonnée peut enfin commencer. Pour notre première étape, nous nous dirigeons vers le village de Sârbi.

Sârbi est un de ces villages typiques du Maramures, de ceux qui nous avaient tant éblouis dans le livre ancien : maisons de bois, clochers pointus, enclos tissés de branches entrelacées ou palissades, somptueux portails sculptés. Le village n'a ni place ni centre ; c'est une rue qui s'étire sur des kilomètres, serpentant le long de la rivière Cosau, avec ses deux églises qui se tiennent en vigile sur la colline, leur clocher égratignant le ciel. Derrière les palissades, se cachent d'anciennes maisons de bois avec leurs galeries couvertes courant sur la façade et leurs toits de bardeaux. Enclos, murs, toits, tout était en bois. Car la forêt est là, toute proche. La forêt, on la connaît depuis des générations : choisir les arbres, les couper au meilleur moment, les faire sécher, cela se transmet d'homme en homme, de siècle en siècle. Le génie bâtisseur du paysan grave à sa manière, dans son habitat, sa profonde spiritualité et sa vie tout entière. Modestes ou somptueux, les portails marquent la limite entre l'intimité du logis et le monde extérieur et à l'origine, ils étaient là pour mettre la maisonnée sous la protection des forces divines. Pour en faire des portes de lumières, les artisans les sculptent en une étrange dentelle où voisinent les symboles chrétiens et les anciens rites païens du culte du soleil.

Nous remontons peu à peu la vallée jusqu'au village suivant. Tout au long du chemin quand quelqu'un aperçoit notre équipage, il ameute les voisins.
" Mgarul, mgarul ! Un âne ! "
Et les gamins d'accourir, les femmes d'arrêter leur travail de fenaison pour regarder passer l'étrange équipage dont -il faut bien le dire- nous sommes plutôt fiers. La famille Robineau a belle allure avec ses deux petits ânes bâtés de superbes sacoches bleues et ses deux enfants, l'une qui admire le paysage depuis le dos de son papa, et l'autre qui trotte allègrement, fier comme Artaban de guider un âne par la bride. Dix fois, vingt fois, trente fois dans la journée, on nous pose les mêmes questions :
" Où allez-vous ? D'où venez-vous ? Où avez-vous pris les ânes ? Vous n'avez pas de voiture ? Vous êtes venus comme ça de France ? "
Déléguée aux relations publiques, je me donne l'impression d'être un disque rayé, et me contente vite de répondre :
"Scuzai- ?, nu vorbesc românete" " Excusez-moi, je ne parle pas roumain. "
Ce qui ne décourage pas toujours notre interlocuteur, qui en répétant sa question d'une voix plus forte, espère être compris.


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Où il faut se méfier du mot " imediat "

Comme nous désirons explorer un peu les alpages, les villageois nous conseillent d'aller rendre visite à un berger qui garde ses troupeaux non loin de là.

" Après le troisième pont, prenez un sentier sur la gauche ; nu-e departe, c'est pas loin, "imediat" " nous avait-on dit. Le chemin creux très escarpé est resté boueux des derniers orages. La montée dans ce raidillon est rude et pénible et nous progressons lentement, constamment freinés par nos bourricots qui hésitent toujours devant les flaques d'eau.
Au sortir du chemin ombragé, le grand soleil et la chaleur nous attaquent de plein fouet, le temps de traverser des prairies parsemées de meules de foin, sillonnées d'une multitude de traces qui partent en tous sens. Celle-ci, un peu plus marquée, serait-elle notre route ? Nous essayons nombre de pistes qui nous mènent à des culs-de-sac et nous obligent à rebrousser chemin pour chercher quelque chose qui ressemble plus au sentier principal. Après les champs de fauche, l'ascension dans la pente reprend.
" J'en ai marre de marcher ; où elle est votre bergerie ? " grogne Vincent.
La marche peut être volupté. Admirer la course des nuages, le frémissement de l'herbe sous le vent, humer l'odeur des meules de foin doré et la fraîcheur de la source qui murmure, ce sont là quelques-uns des extraordinaires privilèges du marcheur ; quelque chose en lui se met à l'écoute, il devient plus présent au présent et retrouve sa vraie place dans l'univers. Mais aujourd'hui, foin de romantisme et de beaux discours. Le coeur cogne dans la rude montée. Hommes et bêtes, suant et soufflant, peinent sous le soleil qui brille au zénith, et maudissent d'un même coup la montée qui n'en finit pas et les villageois qui nous ont annoncé la bergerie comme " imediat ". Un court répit nous est accordé quand nous pénétrons dans l'ombre bienfaisante d'une forêt de sapins. Mais bientôt le soleil fait sa réapparition dans une trouée entre les arbres qui annonce une clairière.

Là, le chemin se fait poussière et la tentation est trop forte pour Vera. La voilà soudain qui se couche. Vite, descendre Sarah ! Les ânes aiment à se rouler sur le dos pour se gratter et c'est ce que s'apprête à faire Vera, jugeant sans doute qu'après l'effort qu'elle vient de fournir, elle peut bien s'offrir un petit plaisir. Mais se rouler quand on est bâté avec de grosses sacoches, pose quelque problème. Vera doit le réaliser et s'arrête un court moment dont nous profitons pour lui enlever très vite son chargement. Heureusement que nous étions tout proches d'elle. Nous n'osons imaginer la scène d'horreur : Sarah écrasée sous le bât. Naturellement, Doina veut imiter sa copine et se couche également. Juste le temps d'enlever une seule sacoche, et déjà elle prend plaisir à sa roulade. Le deuxième sac valse aussitôt. Voilà bien le débâtage le plus rapide qui soit !

" La bergerie ? imediat, imediat ! "" nous avait-on dit comme à l'accoutumée, dans ce pays où l'on use et abuse de ce vocable qui semble pourtant tellement contraire à la philosophie nationale. Imediat ? Six heures de marche plus tard, nous apercevons enfin un troupeau de moutons.


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Au coeur du village

Nous nous arrêtons pendant quelque temps chez des paysans pour écouter battre le coeur du village

Dans la famille Faur qui nous héberge dans son verger, Vincent a trouvé un grand copain, Vasile, 10 ans, avec qui il s'entend à merveille malgré les conversations limitées qu'ils peuvent avoir. Mais le jeu est pour les enfants un formidable langage international. Ici pas de jeu vidéo ou de Lego, mais fabriquer un piège à poules, voilà qui met l'imagination en ébullition. Et c'est ce à quoi s'occupent les deux garçons ce matin. Ayant subtilisé notre bassine à vaisselle et quelques bouts de ficelle, ils ont installé leur piège puis se sont cachés derrière les portes de la grange. Par l'interstice, on aperçoit une main qui tient une ficelle, prête à tirer dessus quand les volatiles inconscients se laisseront attirer par les grains de blé disséminés sous le piège.
Ayant relâché les pauvres poulets terrorisés, nos chenapans trouvent ensuite bien d'autres occupations. Sauter depuis le tas de foin, grimper aux arbres, se tailler arcs et frondes dans des branches, courir après les moutons pour essayer de faire du rodéo, faire des ricochets dans la rivière la nature est un terrain de jeu inépuisable, une école de la vie où nous laissons Vincent vagabonder en toute liberté.
Notre enfant vit là au paradis des petits garçons, et sans doute a t-il l'impression de tomber en enfer quand nous lui rappelons qu'il doit aussi fréquenter l'autre école, la vraie, en faisant une dictée et en lisant quelques pages. Ce qui ne se fait pas toujours sans heurts ni pleurs.

Le dimanche après déjeuner, les villageois se rassemblent dans la grand-rue pour prendre un peu de repos. Le marché d'Ocna et quelques rares sorties à Sighet sont les seules occasions de dépasser les frontières de la vallée. Alors, quand on se retrouve le dimanche, les conversations portent sur le travail des champs, comment poussent les pommes de terre et les enfants, sur le temps et les commérages du village. Car ici, tout est connu, tout se contrôle, chacun sait qui fait quoi et pourquoi. Du nouveau à se mettre sous la dent pour alimenter les conversations de l'après-midi, c'est assez rare ici pour qu'on en profite. Et en ce moment, la nouveauté, c'est nous bien sûr ! Pensez, une famille de Français avec deux petits enfants et des ânes, c'est l'événement de l'année. Les commentaires vont bon train, et Ildikó, notre interprète, qui laisse traîner une oreille attentive, nous rapporte comment nos moindres faits et gestes sont détaillés.

Les femmes s'installent sur des bancs pour apprécier la vie de la rue qui est aussi lieu de loisirs le dimanche, faute de moyens de locomotion pour aller ailleurs. Les filles vont bras dessus-bras dessous, faisant le va-et-vient sur la route sous le regard observateur de leurs aînées qui bâtissent pour elles des projets matrimoniaux. Elles rient en croisant les groupes de garçons qui leur lancent plaisanteries et oeillades.
Comme partout dans le monde, ce sont les hommes qui ont abandonné les premiers la tradition vestimentaire. Les jeunes gens sont vêtus aujourd'hui de jeans et chemises de fabrication industrielle, quand ils n'arborent pas un maillot aux couleurs d'une équipe de foot et des casquettes à la gloire de marques de vêtements de sport. Les filles, elles, ont abandonné les tabliers rayés pour inventer une nouvelle mode villageoise avec leurs jupes et leurs fichus fleuris.

Triste uniformisation des vêtements et des modes de vie qui fait disparaître sous toutes les latitudes l'extraordinaire richesse et la diversité des cultures locales. Quand les métiers à tisser sont abandonnés, on oublie le sens des motifs qui inscrivaient au creux des fibres les racines et l'appartenance à une culture, quand les broderies transmises de mère en fille racontaient les histoires des hommes et des villages afin que nul ne les oublie. On troque les vieux costumes, signes d'identification, pour endosser un banal uniforme, sans âme aucune mais symbole d'un mode de vie qui fait rêver et que l'on voudrait bien adopter. Par la télévision, le rouleau compresseur de la publicité apporte à domicile les valeurs et les images de la société occidentale qui cherche à uniformiser la planète toute entière et bouscule tout ce qui existait auparavant.

Il ne s'agit pas d'enfermer les gens du Maramure? dans une image folklorique où il serait fort romantique d'aller puiser l'eau au puits et de laver le linge dans la rivière glacée. Sans doute avons-nous tendance à idéaliser ces images de notre passé qui sont le présent d'ici. Alors que les gens d'ici justement sont avides de ce qu'ils n'ont pas, et que nous, Occidentaux nantis, possédons et dont nous cherchons peut-être à nous débarrasser en venant dans ces contrées où le temps s'est arrêté.
Se barricader dans le passé pour s'opposer à la modernité serait une défense bien illusoire. Les techniques et les sciences sont là avec leurs acquis positifs et il ne s'agit pas de les nier, mais plutôt de les relativiser et de les réconcilier avec l'homme.
Existe t-il une autre voie, un juste milieu entre une tradition figée et le modernisme à tous crins ? Comment intégrer les bienfaits du progrès sans renier son âme ? C'est un chemin encore à inventer car personne n'a jusque là trouvé la réponse à ces questions qui s'adressent autant aux paysans du Maramure? qu'à nous-mêmes, membres des sociétés technologiquement développées. Un chemin difficile car les gens d'ici sont confrontés à la vague déferlante de la modernité qui ne fera que s'amplifier avec l'entrée dans l'Union européenne.


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Un pays de collines

Notre route se poursuit de village en village

Pour nous éviter de redescendre tout en bas sur le chemin, Ion va nous guider vers Poienile par des raccourcis à travers les collines. Nous continuons à grimper à travers le damier des prairies et des champs minutieusement façonnés par les paysans, tapissés de maïs, d'avoine mûrissante, de betteraves, de choux et de potirons. Les collines ondulent en amples et profonds mouvements, dessinant le paysage en lignes courbes. Les prairies où la faux n'a pas encore fait son oeuvre regorgent de vert, de fleurs et de lumière et nous nous enfonçons avec délice dans l'herbe haute, là où nous appelle un étroit sentier parmi marguerites et bleuets. Le vent léger fait frémir et chanter le moindre brin d'herbe.
Bientôt le chemin creux disparaît entre les prairies, traverse un bois, repart à grimper pour nous mener sur la ligne de crêtes. Dans ces douces et moelleuses montagnes, point d'aspérité ; tout n'est que rondeur et harmonie des couleurs et des formes. Quelque chose en nous se met à l'écoute et vibre à l'unisson de cette symphonie, pour qu'elle s'inscrive tout au fond de notre mémoire. Au détour du sentier, la vue plonge soudain dans la vallée, avec le village de Poienile tapi loin là-bas, tout au fond. Les mots sont impuissants à dire la merveille de l'instant, et nous restons là, dans une contemplation silencieuse, absorbés par ce paysage qui nous éblouit, pour nous imprégner de la quiétude du lieu et inscrire en nous ce spectacle de vie et de lumière. Une vie, non pas comme un fougueux torrent en perpétuel mouvement, en constante agitation, mais comme un ondoiement, quand le temps s'écoule simple et tranquille, à fines gouttelettes, et que l'on se contente du plaisir d'être là, d'exister. Jouissance sans hâte du temps qui passe, du silence. Nous sommes ici dans un vieux pays rural, dans un monde de lenteur où s'égrènent au fil du temps les saisons, les travaux agricoles et les générations, dans un cycle toujours renouvelé qui donne de la solidité aux racines.
Randonner en ces régions, c'est une vraie cure de désintoxication, loin des sollicitations constantes qui nous agressent et nous étouffent. Notre esprit devient libre comme l'oiseau et le vent, quand il se détache pour un temps du bruit et de l'urgence qui régentent nos vies

Arrivés au village, nous faisons halte sur un banc près du magasin, pour vider des litres d'eau fraîche. Aujourd'hui encore, le déjeuner est passé aux oubliettes, et pour le goûter, nous améliorons l'ordinaire en tartinant notre pain avec de la confiture, trouvaille qui a pourtant un goût d'une autre époque dû à un trop long séjour sur l'étagère de la boutique. Pas question, pourtant, de la jeter. Parce que toute nourriture est sacrée et plus il y a rareté, plus cette sacralisation augmente. Alors, ne faisons pas la fine bouche, et estimons-nous heureux d'avoir de la confiture aujourd'hui pour changer du fromage et du saucisson. L'abus de ce dernier ayant produit quelques ennuis boutonneux chez plusieurs membres de la famille en principe végétarienne, nous avons restreint la charcuterie pour nous consacrer principalement à la dégustation de fromage. Même si celui-ci ne supporte pas toujours très bien les séjours dans les sacoches sous 35° à l'ombre et répand alors des odeurs venues d'ailleurs.
Parfois nos papilles gustatives s'affolent et s'indignent. Refus d'obéissance ! Personne n'arrive plus à avaler. Alors de grâce, ne faisons pas les difficiles pour un petit goût de moisi et d'aigre dans un pot de confitures. Sinon il ne nous restera plus comme alternative gustative que le sandwich au pain. Il est vrai que le pain que l'on trouve en Maramure? est excellent et se conserve parfaitement pendant plusieurs jours. Heureusement pour nous car le réchaud tout neuf, acheté spécialement pour cette randonnée, ne fonctionne déjà plus. Il était pourtant " made in USA "" et garanti trois ans ! Nous en sommes donc réduits aux sandwichs trois fois par jour.


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L'hospitalité est ici un miracle quotidiennement renouvelé

Sous le soleil revenu, nous continuons notre chemin, longeant les portails et les palissades. D'une cour dissimulée derrière sa barrière de bois, monte un nuage de fumée. Quand nous passons devant la porte du jardin, le propriétaire nous fait signe d'arrêter et sa fille accourt avec une pleine assiette de beignets chauds et sucrés qu'elle est en train de faire cuire dans la cour. Vincent réclamait justement le goûter et son appétit est largement satisfait car survient encore une autre assiette de ces gâteries brûlantes et délicieuses, accompagnées d'un verre de lait.
De ces courtes rencontres sur le bord de la route, émane toujours beaucoup de sympathie, jamais d'agressivité ou d'intérêt déguisé. Une hospitalité spontanée, généreuse, sans arrière-pensée, qui s'offre tout simplement pour parler le langage du coeur. Des moments éphémères, mais qui laissent une profonde impression de connivence, de fraternité qui vous fait chaud au coeur. " Ce qui m'a le plus impressionné, c'étaient la bonté et l'hospitalité roumaines, écrivait le romancier allemand Hans Carossa. Les deux sont proverbiales. Je ne connais aucun peuple plus hospitalier que le peuple roumain ". Ayant acquis quelque peu l'usage du monde au cours de nos voyages à travers le monde, nous partageons tout à fait l'opinion énoncée par l'écrivain au début du 20e siècle, et nous décernerions volontiers la palme d'or de l'hospitalité au peuple roumain.


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Les ânes chassés du temple

L'équipage repart en traînant la jambe car la température reste toujours aussi peu raisonnable. Quelques vieillards assis à l'ombre près d'un portail, nous regardent passer, incrédules. Le village s'étire sans fin et nous désespérons d'arriver à notre but. Enfin, nous apercevons les deux clochers de bois indiquant le monastère que nous cherchons. Une route goudronnée bordée de jardinières fleuries y monte et débouche sur un vaste espace planté de jeunes arbres et parcouru d'allées où s'épanouissent oeillets d'Inde et pétunias. La région, plus portée à l'insouciance qu'à la rigueur, ne nous a guère habitués à un tel décor de verdure soignée. Les fins clochers de bois rivalisent en hauteur avec la pointe des sapins qui s'étagent au flanc de la montagne.
Ayant attaché les ânes à un arbre, nous nous enquérons auprès d'une religieuse de la possibilité de les laisser là le temps de la visite du monastère. Elle nous oriente vers la mère supérieure qui se trouve dans le bâtiment principal et nous attendons sagement au bas des marches, le temps qu'elle aille quérir la responsable du lieu. Soudain, une furie toute vêtue de noir de la tête aux pieds, descend les escaliers en criant :
" Comment ? Il y a des ânes ici ? Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Allez les mettre chez des paysans ! "
Ildikó tente de nous présenter mais l'autre n'écoute pas, toujours vociférant :
"  C'est inadmissible de venir ici avec des ânes. Sortez-les tout de suite. Ils vont tout salir, on a assez de mal à tenir propre. "
Le temps que la supérieure reprenne sa respiration entre deux hurlements, notre interprète arrive à glisser que nous voulons juste visiter le monastère -qui est ouvert au public, précisons-le-.
" Revenez ici en touristes normaux. Il y a de la place pour garer des voitures. Mais des ânes ! "
Au comble de l'indignation, elle n'arrive même plus à reprendre souffle, tellement outragée que quelqu'un ait pu se permette une telle ignominie.
Je glisse à Ildikó :
" Dis-lui que Jésus voyageait avec un âne. "
Mais cela ne calme guère la tornade, alors que nous ne comprenons toujours pas quelle mouche l'a piquée et quel crime nos douces Vera et Doina ont commis en entrant ici.
" Laissez Jésus tranquille. Sortez les ânes d'ici " crie la religieuse hystérique qui tourne les talons et remonte les escaliers quatre à quatre, s'engouffrant dans la maison dans une envolée de robe noire.
Abasourdis par tant de fureur, nous revenons auprès de nos ânes, objet bien involontaire de tout ce remue-ménage. Un ouvrier qui travaillait près de là aux plantations, vient nous dire, en jetant des regards apeurés vers la maison, de sortir rapidement " sinon, la Mère va se fâcher. " Nous prenons cependant le temps de marquer un tel accueil sur la pellicule en faisant poser Vera et Doina devant l'entrée.


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Magie d'un feu de camp

Nous restons encore une nuit pour jouir à nous tout seuls du paysage grandiose, de la solitude et du ciel étoilé. Ramasser du petit bois, le mettre en place en une savante pyramide aérée : la préparation du feu est une leçon de patience pour Vincent qui débordant d'énergie, agit habituellement avec fébrilité. Ce soir, le dîner sera fait de tartines grillées et de fromage. Bientôt de hautes flammes montent vers le ciel dans la nuit sombre et nous mesurons le bonheur d'être là, en famille, dans ce lieu magique des Carpates, aux marches de la Moldavie et de l'Ukraine. A eux seuls, ces noms-là évoquent tant de mystère, tant d'histoires et de légendes, qu'ils nous font entrer dans la magie du lieu.
Après quelques chansons sans lesquelles il ne saurait y avoir de feu de camp digne de ce nom, les enfants réclament des histoires et j'épuise tout mon répertoire de contes sur les loups. Le lieu est on ne peut plus propice. Tout autour de nous, il n'y a âme qui vive si ce n'est sans doute quelque berger ayant son chien pour seul compagnon, et le silence n'est habité que par le crépitement du feu et le vent léger caressant l'océan des sapins. Puis nous ne disons plus rien, nous laissant pénétrer par la beauté de cette nuit d'été et nous sentant infiniment petits dans ce fabuleux décor de ciel et de montagnes. Perdus dans la contemplation du feu, nous nous tenons blottis les uns contre les autres, et le seul fait d'être là, tous les quatre, à vivre intensément ce moment simple, nous rend immensément heureux.


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En guise de conclusion

Ainsi va la vie au Maramure?, chantant le passage des saisons, vivant de rites et de mythes. Mais l'heure tourne

Chaque voyage là-bas nous réserve un enchantement renouvelé, fascinés que nous sommes par la vigueur et la beauté d'une culture traditionnelle toujours vivante, éblouis par la chaleur de l'accueil. Nous en revenons avec des souvenirs précis de paysages, d'intérieurs colorés, de portails sculptés, mais aussi et surtout des sensations, des émotions, glanées dans ces villages hors du temps, dans ces fêtes où la communauté exprime toute sa solidarité, toutes ces relations qui depuis des générations les lient entre eux, les lient à ces montagnes, à ces vallées. Avec ces hommes et ces femmes, nous avons partagé le plaisir des jours, les doutes et les incertitudes de l'avenir.

Des impressions, des coups de coeur, des chahuts de mémoire et d'émotion Il est des choses difficiles à exprimer avec des mots. Le flamboiement d'émotions vécues au contact des gens du Maramures est de celles-là. Au-delà des paroles échangées, des repas partagés, du bien-être spontané, il y a l'inexprimable qui relève du langage du coeur. L'accueil, écrivait Jules Verne, est un moment fort du voyage, un instant où le moi du visiteur et le "eux" des hôtes devient un nous qui, même s'il est éphémère, préfigure ce que le voyageur cherche au bout de la route : le nous, l'universel de la condition humaine.

Sans doute est-ce cela notre quête de voyageurs, l'essence même de nos années d'errance et qui se trouve, encore une fois, réalisée au Maramure ?


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